Jamais quatre sans cinq…
Les Israéliens sont appelés aux urnes pour la cinquième fois en quatre ans. Retour de Netanyahou ou nouveau bricolage ? L’absence d’alternative de gauche – juive et arabe – risque en tout cas de condamner le pays à poursuivre sa fuite en avant suicidaire.
La coalition surréaliste mise en place en juin 2021, après la quatrième déroute électorale de Benyamin Netanyahou en trois ans, était promise à l’échec. Unie par la seule volonté d’empêcher son retour, elle allait de la gauche sioniste (Meretz de Nitzan Horowitz et travaillistes de Mirav Michaeli) à l’extrême droite (À droite de Naftali Bennett), en passant par le centre (Il y a un futur de Yaïr Lapid et Bleu Blanc de Benny Gantz) et la droite (Nouvel espoir de Gideon Sa’ar), sans oublier le parti russe (Israël notre foyer d’Avigdor Liberman) et les islamistes modérés (Ra’am de Mansour Abbas). Comme prévu, cet attelage n’a pu que cautionner la politique anti-palestinienne de son Premier ministre et de son ministre des Affaires étrangères.
D’où l’autodissolution de la Knesset, fin juin dernier : elle a donné le signal d’une campagne électorale incertaine, que les électeurs concluront le 1er novembre. La bataille se livre pour l’instant entre « centre », droite et extrême droite, tous trois en recomposition.
Au « centre », le nouveau Premier ministre Lapid et son ministre de la Défense Gantz, allié à Sa’ar, se disputent le leadership d’une future coalition. Si le premier dispose d’une longueur d’avance sur son rival, le second vient d’engranger le ralliement de l’ex-chef d’état-major Gadi Eizenkot.
À droite, Netanyahou, grand vainqueur des primaires au sein de son parti, arrive largement en tête avec quelque 35 sièges dans les sondages. Pour rallier une majorité de députés, il mise sur les ultra-orthodoxes et espère aussi récupérer les dépouilles d’À droite, dont Bennett a laissé la direction à Ayalet Shaked. Rebaptisé Esprit sioniste, ce dernier peinerait à obtenir les 3,5 % nécessaires pour entrer à la Knesset.
Netanayhou compte surtout sur l’extrême droite. C’est pourquoi il a poussé Bezalel Smotrich (Parti sioniste religieux) et Itamar Ben Gvir (Force juive) à fusionner leurs deux listes. Le premier se distingue par son homophobie obsessionnelle, le second par sa référence au rabbin Kahane, dont la Knesset avait interdit le parti pour « racisme » en 1994. Les sondages leur promettent le nombre record d’une dizaine de sièges, voire plus.
Quant à l’éternel duel entre les haredim ashkénazes du Judaïsme unifié de la Torah et séfarades du Shas, il semble tourner à nouveau à l’avantage du second. Tous deux rêvent de retrouver leur place au gouvernement et bloquer la timide sécularisation en cours.
En cette fin d’été, la quatrième guerre contre Gaza a permis à Lapid de reprendre – provisoirement ? – la tête devant Netanyahou, mais ni l’un ni l’autre n’obtient encore le 61e député fatidique. Reste l’essentiel : la gauche, juive et arabe, représenterait à peine plus de 10 % de la Knesset…
Rien là de surprenant. Selon la dernière enquête de l’Israel Democracy Institute ([1]) », 62 % des Juifs israéliens se classent « à droite » (contre 46 % il y a trois ans) ; 24 % se situent « au centre » (contre 33 %) ; et 11 % seulement se définissent comme « de gauche » (contre 17 %). En 1995, année de l’assassinat d’Itzhak Rabin, 29 % se disaient « de droite », 28 % « centristes » et 36 % « de gauche ».
Cette droitisation frappe d’autant plus qu’Israël, premier de la classe néolibérale, bat de nombreux records (occidentaux) en matière de pauvreté et d’inégalités. Avant la pandémie, en 2019, le pourcentage de pauvres atteignait déjà 23 % en moyenne, selon les statistiques officielles – mais 31,7 % des enfants, 46 % des Arabes, 57 % des ultra-orthodoxes… et même 25 % des survivants de la Shoah !
La droitisation des Israéliens est inséparable de leur hostilité croissante vis-à-vis des Palestiniens, sur fond d’une peur largement manipulée par le gros de la classe politico-médiatique et d’une impunité rassurante de la part une communauté internationale enfermée dans le « deux poids deux mesures ».
Qu’on l’appelle ou non « apartheid », le régime donne aux seuls Juifs une pleine citoyenneté, les Arabes restant des citoyens de seconde classe. La loi « État-nation du peuple juif » du 19 juillet 2018 a gravé cette discrimination dans le marbre constitutionnel : « Seul le peuple juif a droit à l’autodétermination nationale en Israël », stipule son article 1. Une hiérarchisation ethnique qui s’exprime aussi à travers des lois et règlements qui restreignent les droits des Palestiniens, non seulement dans les Territoires occupés, mais aussi dans le « petit Israël », à l’intérieur des frontières d’avant 1967. Les plus significatives sont les restrictions de l’accès à la terre, dont les Arabes ne possèdent plus que 3 %, alors que les Juifs en détenaient moins de 7 % en 1947, à la veille du plan de partage.
Cette discrimination systémique attise un racisme de plus en plus déclaré. En 1994, la Knesset interdisait le parti du rabbin Meïr Kahane. En 2021, ses héritiers, adoubés par Netanyahou, sont revenus à la Knesset et tiennent ce genre de discours que Zeev Sternhell dénonçait : « En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts ([2]). »
Israël n’a cependant rien d’un cas isolé. Son point commun avec d’autres pays saisis par le populisme ? L’absence d’une alternative sérieuse, sans laquelle mécontentement et nationalisme alimentent une radicalisation à droite. D’autant qu’ici, seule une alliance solide entre les gauches juive et arabe, objectif ambitieux s’il en est, pourrait offrir une perspective à la fois pacifique, sociale et écologique. Entre une gauche sioniste délégitimée par la caution qu’elle a apporté à Bennett et Lapid et une gauche arabe divisée par Mansour Abbas au point de décourager son électorat ([3]) , on est, hélas, loin de compte.
Une « guerre préventive électorale » contre Gaza
« Ein brera » : nous n’avons pas le choix. C’est ainsi qu’Israël a longtemps justifié ses guerres. Ce fut vraiment le cas de celle de 1973, déclenchée par l’Égypte d’Anouar Al-Sadate et la Syrie de Hafez Al-Assad. D’autres furent des initiatives de Tel-Aviv, y compris toutes les « opérations » contre Gaza. Mais celle d’août 2022 n’a été précédée pendant des semaines, contrairement aux précédentes, d’aucun attentat ni tir de missiles sur le territoire israélien.
Son bilan n’en est pas moins tragique : les bombardements ont tué une cinquantaine de personnes, toutes palestiniennes, dont 19 enfants. La mort de cinq de ces derniers a fait l’objet d’une polémique morbide, Tsahal assurant qu’ils avaient été victimes d’explosions accidentelles de roquettes du Jihad islamique. L’état-major israélien a fini par reconnaître sa responsabilité, au grand embarras des propagandistes inconditionnels qui affirmaient l’inverse. Du côté israélien, le « Dôme de fer » a empêché le millier de missiles tirés depuis Gaza d’entraîner pertes humaines et gros dégâts matériels.
Comment, alors, expliquer cette offensive ? L’armée se targue d’avoir décimé la direction du Jihad islamique, mais elle sait que les dirigeants éliminés seront remplacés. Si l’opération constituait un piège pour le Hamas et le Hezbollah, ceux-ci n’y sont pas tombés. Bref, il s’est agi d’une « guerre préventive… électorale », sur le modèle de celle lancée en décembre 2008 par les deux Ehoud, Olmert et Barak. Sauf que les élections législatives de février 2009 furent remportées haut la main par… Benyamin Netanyahou !
Dominique Vidal
([1]) Site du Times of Israel, 29 août 2022.
([2]) Le Monde, 18 février 2018.
([3]) Seuls 39 % des citoyens arabes iraient voter, contre 45 % en 2021.