Israël face au danger d’une démocratie « illibérale » – par Dominique Vidal, membre de l’iReMMO

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Dans le numéro de mars, j’avais intitulé mon article « Jamais 3 sans 4… ou 5 ? ». Le scrutin du 23 mars en Israël risque en effet de déboucher, à court ou moyen terme, sur une cinquième élection anticipée. Car, pour la quatrième fois, Benyamin Netanyahou a perdu son pari : il n’a pas obtenu des Israéliens la majorité qu’il espérait pour échapper à la justice et poursuivre la radicalisation qu’il a impulsée depuis 2015.

Afin de former une coalition, il lui faudrait y intégrer à la fois les islamistes (5 députés) qu’il est parvenu à débaucher et les fascistes (6 députés) auxquels il a permis d’entrer en force à la Knesset, ce que les uns comme les autres refusent. Mais ses challengers n’ont pas non plus réussi à mettre en place une alternative crédible –et celle qu’ils tentent de bricoler depuis le vote a peu de chances de l’être…

 

Au fond des urnes, on observe quatre réalités :

– la première, c’est une droitisation sans précédent : indépendamment des batailles qui les déchirent, l’ensemble des droites, des extrêmes droites et des religieux ultraorthodoxes totalisent 72 députés sur 120 [1], soit 60% de la Knesset ;

 

– dans ce cadre, la deuxième caractéristique du scrutin, c’est le tremblement de terre que représente l’arrivée, grâce à son accord avec le Likoud, de 6 députés du Parti sioniste religieux raciste et homophobe, dont les héritiers du rabbin fasciste Meir Kahane, et de sa formation interdite en 1984 ;

 

– la troisième leçon, c’est le score de la gauche arabe et juive, le plus mauvais de leur histoire, avec 19 députés (7 pour les Travaillistes, 6 pour Meretz et 6 pour la liste unie), soit 16 % de la Knesset ; dans cette débâcle, la Liste unie, désormais désunie, tombe de 15 à 6 sièges : désorienté par la scission du parti islamiste (5 sièges) acheté par le Premier ministre, son électorat s’est plus massivement abstenu ou a préféré sauver le Meretz, formation sioniste de gauche dont les sondages annonçaient l’exclusion de la Knesset, faute d’atteindre le seuil de 3,25 % des voix ;

 

– quant au centre, quatrième observation, il plafonne à 25 sièges, soit 21 % du Parlement : avec Il y a un avenir et ses 17 députés, Yaïr Lapid obtient la deuxième place derrière le Likoud, mais le reste du parti Bleu blanc paie très cher la trahison de Benny Gantz au printemps dernier, s’effondrant de 33 sièges à 8 !

Comme souvent, nombre de commentateurs français ont confondu l’arbre et la forêt : à soixante-dix ans passés, Benyamin Netanyahou se battait évidemment pour sa survie personnelle. Mais il entendait aussi assurer la poursuite de la radicalisation tous azimuts de la politique israélienne : le système d’apartheid formalisé par la loi « État-nation » (2018), dont l’article 1 stipule que « seul le peuple juif a droit à l’autodétermination en Israël » ; la marche vers l’annexion de la Cisjordanie, que rendent possible à la fois la « loi des voleurs » (2017) et le plan Trump (2020) ; l’arsenal liberticide voté par la Knesset au cours des dix dernières années et l’offensive lancée contre la Cour suprême ; l’alliance contre nature avec tout ce que le monde et notamment l’Europe centrale et orientale comptent de leaders populistes, souvent négationnistes et parfois antisémites.

Autre erreur courante dans les grands médias français : attribuer la politique et les alliances intérieures et extérieures de ce Premier ministre à la longévité record à son pragmatisme. Si Netanyahou se présente effectivement comme un politicien rusé et prêt à tout, il obéit, ce faisant à un ADN personnel et politique très singulier. Benzion, son père, n’était pas seulement un sioniste révisionniste, ce mouvement créé en 1925 par celui que Mussolini appelait « votre fasciste, Jabotinsky [2] » : il militait au sein de son aile la plus extrémiste, les  « birionim » – « voyous » en hébreu – qui allèrent jusqu’à saluer l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler. Yaïr, son petit-fils, est un voyou tout court, dont les frasques font régulièrement les gros titres de la presse. Plus radical encore que Benyamin, il a offert son visage à une affiche du parti néo-nazi allemand AfD, sous le slogan « Pour une Europe indépendante, libre et chrétienne (sic) ».

À quatre jours du scrutin, un titre barrait toute la « une » d’« Haaretz »: «Si Netanyahu forme à nouveau le gouvernement, il n’y aura plus personne pour l’arrêter. » Et le quotidien de mettre en garde : « Cette élection concerne l’âme d’Israël. Une victoire du bloc de Netanyahou pourrait conduire à l’établissement du gouvernement israélien le plus extrémiste, ultranationaliste, raciste et farouchement religieux jamais vu – déchaîné, brutal et rapace. »

Si une des « combinazione » dont il a le secret permettait à « Bibi » de sauver in extremis son trône, cela représenterait un péril mortel pour la recherche de la paix avec les Palestiniens et dans toute la région. Mais il s’agirait aussi, en effet, d’une menace majeure pour ce qui reste de démocratie israélienne. Éviction du procureur général et de celui de l’État, marginalisation de la Cour suprême, répression des oppositions, élargissement des pouvoirs des Services, etc. : tel serait son programme…

Pour les opposants, même de droite, comme pour de très nombreux observateurs, le danger tient en deux mots: « démocratie illibérale ». Emmanuel Macron, qui se présente comme le champion du combat contre les Orbàn, Kaczynski et autres Babis pourrait-il rester aussi complaisant avec Netanyahou ?

[1] 30 pour le Likoud, 16 pour les ultra-orthodoxes (9 pour le Shas séfarade et 7 pour le Judaïsme unifié de la Torah ashkénaze), 7 pour Yamina de Naftali Bennett, 7 pour Israël notre foyer d’Avigdor Liberman, 6 pour le Nouvel espoir de Gideon Sa’ar et 6 pour les fascistes du Parti sioniste religieux,

[2] Conversation avec David Prato, futur grand rabbin de Rome. Cf. Lenni Brenner, Zionism in the Age of the Dictators. Croom Helm, Londres et Canberra, 1983.

Article publié dans le journal papier « La Presse Nouvelle»

par Dominique Vidal