De l’Europe au Moyen-Orient, lire le monde de l’après-guerre d’Ukraine

Imaginez un journaliste tombé dans le coma fin 1991 et qui en serait sorti le 25 février dernier. Il percevrait bien mieux que nous les changements radicaux intervenus en trois décennies dans les relations internationales – y compris au Moyen-Orient et au Maghreb.

Appelons-le Jules Dupond. Imaginons que ce journaliste soit tombé dans le coma au soir du 26 décembre 1991 – qui vit la dissolution officielle de l’Union soviétique au profit de la Communauté des États indépendants (CEI), dont l’Ukraine. Et qu’il en soit sorti le 25 février 2022, deuxième jour de l’invasion de cette dernière par l’armée russe. Cette fiction nous aidera à pointer les formidables changements intervenus en trois décennies dans les relations internationales et que la tragédie ukrainienne accentue.

Première surprise pour notre confrère : la guerre fait à nouveau rage en Europe. Contrairement aux grands médias, bien oublieux, Jules Dupond, inconscient dans les années 1991-2001, ne peut qu’ignorer les guerres de l’ex-Yougoslavie, qui ravagèrent les Balkans durant près de dix ans.

Deuxième surprise : nombre d’analystes parlent de « retour à la guerre froide ». Absurde, réagit notre confrère, qui l’a bien connue : elle consistait en un face-à-face entre deux systèmes antagonistes, dotés d’un arsenal nucléaire à même de détruire la planète. Entre eux, chacun se devait de « choisir son camp », sur fond d’idéologies rivales.

Le choc actuel ressemble plus à ce que Lénine qualifiait de « guerre inter-impérialiste » : entre puissances capitalistes diverses mais rivales, sans véritable background idéologique.

Voilà pourquoi Jules Dupond trouve très pertinente la dénonciation par Edwy Plenel d’« un nouvel impérialisme » russe qui « menace la paix du monde ». Il s’agit, précise le fondateur de Mediapart, d’« un impérialisme de revanche […] un impérialisme de mission, convaincu de défendre une vision du monde conservatrice et identitaire [et] une puissance nucléaire à la merci d’un homme et de son clan oligarchique, ayant basculé de l’autoritarisme à la dictature ».

Si nostalgie il y a, c’est plutôt celle de l’Empire. Et Vladimir Poutine remonte loin : dans son fameux texte de juillet 2021, il rappelle que « les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses sont les héritiers de l’ancienne Rus’ qui a été le plus grand pays d’Europe ».

Pour sa part, la spécialiste de la Russie Juliette Faure modernise le propos : « Les nationaux-patriotes partagent une aspiration commune : la reconstitution d’un État fort qui ferait la synthèse des périodes de l’histoire russe en alliant les valeurs traditionnelles et spirituelles de l’empire tsariste avec la puissance militaire et technologique de l’Union soviétique. » Et qui imposerait sur ses marches cette « souveraineté limitée » que Léonid Brejnev avait théorisée…

Dominique Vidal

ÉDITO

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