L’État d’Israël tremble depuis le 4 janvier dernier. Ce jour-là, seulement sept jours après la composition du nouveau gouvernement de Benyamin Netanyahou, son ministre de la justice, Yariv Levin, annonce son plan de réformer brutalement le pouvoir juridique israélien. Cette réforme, définie par ses opposants comme un changement de régime, vise à brider les pouvoirs de la Cour suprême israélienne et à réduire fortement son contrôle sur le pouvoir législatif.
Dans un pays où il n’y a pas de Constitution, où le président ne détient que des compétences honorifiques et où le pouvoir exécutif exerce obligatoirement sa majorité au Parlement, une telle réforme signifie un gouvernement tout-puissant. Le 24 juillet dernier, la première loi de la réforme est promulguée, et selon Levin, « il ne s’agit que de la première étape de ce processus historique » mené par son gouvernement.
Le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays
Le gouvernement de Netanyahou, il faut bien le rappeler, est le gouvernement le plus à droite qu’Israël n’ait jamais connu : tous les partis qui le composent sont de droite ou bien d’extrême droite. Netanyahou, à la tête du parti Likoud, penchant de plus en plus vers l’extrême droite depuis 2009, choisit comme alliés les deux partis ultra-orthodoxes ainsi que la liste qu’il a lui-même aidée à créer, le sionisme religieux. Cette liste est composée de trois partis suprémacistes juifs, ouvertement racistes, xénophobes et homophobes. L’annonce de la composition du gouvernement puis celle de la réforme judiciaire sont des alertes pour une grande partie de la société israélienne, celles qui ont fait tout basculer.
C’est trois jours après la conférence de presse de Yariv Levin que plusieurs organisations s’opposant à l’occupation israélienne en Cisjordanie manifestent pour la première fois contre la réforme. Elles savent que les premiers visés par le plan du gouvernement seraient les Palestiniens, à la fois ceux des Territoires occupés et ceux détenant la nationalité israélienne. Lors de la manifestation, les militants brandissent les drapeaux palestiniens et les orateurs parlent d’égalité entre toutes les personnes vivant de la mer au Jourdain. Le déroulement de la manifestation n’est pas bien accueilli par les personnes du centre et de la gauche sioniste. La semaine suivante, ce sont eux qui prennent le dessus et depuis lors, ils sont à la tête de la contestation.
29 semaines après…
Depuis plus de vingt-neuf semaines, chaque samedi, des dizaines de manifestations contre la réforme sont organisées dans le pays. Ces rassemblements, notamment celui de Tel-Aviv, se différencient fortement de la première manifestation. Le discours se focalise désormais sur la société juive israélienne, reléguant l’occupation et les Palestiniens en dehors des discussions. Le drapeau israélien devient l’un des symboles de la protestation, les manifestants considérant qu’il s’agit de la réappropriation du patriotisme qui était longtemps associé uniquement à la droite et aux partisans de Netanyahou.
Enfin, les élites de plusieurs domaines, notamment le Hi-Tech et l’armée, ont pris le dessus et dirigent la contestation. Ces changements ont pour but de rapprocher les manifestations du consensus israélien, et cela semble fonctionner puisque la contestation s’élargit d’une semaine à l’autre. Le bloc qui avait organisé la première manifestation est maintenant appelé « le bloc anti-occupation » et continue à manifester également, bien que souvent à l’écart des autres.
La crise s’aggrave
Le 27 mars est un moment clé pour les manifestants. La veille, Benjamin Netanyahou décide de limoger son ministre de la défense, Yoav Gallant, après que ce dernier a déclaré publiquement qu’il faut mettre en pause la réforme, la contestation ayant créé une crise intérieure dans l’armée et mis en risque la sécurité du pays. Suite à l’annonce du limogeage de Gallant, des dizaines de milliers de personnes sortent dans les rues de manière spontanée.
À Tel-Aviv, ils bloquent l’autoroute principale et semblent plus déterminés que jamais. Le lendemain, une grève générale est annoncée, mettant le pays à l’arrêt. Netanyahou se trouve dans une situation bien complexe : il est obligé de négocier avec ses alliés pour mettre en pause la réforme, mais ces derniers refusent et menacent de faire tomber le gouvernement. Après des heures de négociations et de grandes promesses, Netanyahou parvient finalement à mettre en pause la réforme – une grande victoire pour les manifestants.
Aucun contre-pouvoir
Or, en juillet, le gouvernement annonce son intention de promulguer l’une des lois principales de la réforme – la suppression de la clause de raisonnabilité. Ce changement aurait pour effet de priver le pouvoir judiciaire de la possibilité de se prononcer sur le caractère « raisonnable » des décisions prises par le gouvernement. Par exemple, si le gouvernement décidait de mener une action discriminante à l’encontre d’un groupe de la société, la Cour suprême ne pourrait pas signaler le caractère non raisonnable de cette décision et donc l’annuler.
Elle ne pourrait pas non plus annuler une nomination non raisonnable, comme cela a été le cas en janvier lorsqu’elle a empêché la nomination d’Arié Deri, condamné pour fraude fiscale, à la tête du ministère de l’intérieur. En somme, la suppression de cette clause entraînerait un gouvernement dont les décisions ne pourraient être contrôlées par aucun contre-pouvoir.
Un plan d’annexion et d’apartheid
Les personnes à la tête de la contestation qualifient la stratégie du gouvernement de « méthode du salami », une approche employée précédemment en Pologne, qui consiste à promulguer la réforme petit à petit afin qu’elle passe inaperçue. En le signalant, ils demandent l’effet contraire, et c’est ce qu’ils obtiennent. Les manifestations prennent un nouvel élan et sont plus importantes que jamais. Elles ont lieu le samedi mais aussi pendant la semaine, et la violence du côté de la police devient de plus en plus importante.
La situation s’aggrave. Elle a des répercussions sur l’économie du pays, qui se déstabilise, ainsi que sur le conflit intérieur au sein de l’armée, créé en raison de l’annonce de centaines de personnes clés refusant de remplir leurs fonctions. La société israélienne apparaît plus divisée que jamais. Malgré ces tensions et protestations, le 24 juillet, la suppression de la clause de raisonnabilité est promulguée à la Knesset, et cela ne semble être que le début du processus de la réforme.
Notons bien, la réforme judiciaire menée par le gouvernement vise à accompagner une réforme aujourd’hui invisible aux yeux de la majorité des Israéliens. Détruire la Cour suprême n’est pas le but mais le moyen. Les Israéliens contestant la réforme ne le découvrent que petit à petit.
La droite radicale au gouvernement mène un plan bien réfléchi qui sera facilité avec la disparition du contrôle de la Cour suprême. Ce plan, publié à l’écrit par le ministre Bezalel Smotrich en 2017, prévoit l’annexion de la Cisjordanie, l’élargissement massif de la colonisation et l’officialisation du régime d’apartheid de la mer au fleuve Jourdain – et il est déjà en cours.
Nitzan Perelman, doctorante en sociologie politique et co-responsable du Magistère iReMMO