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Captagon: l’arme économique du régime Assad

L’émergence de la Syrie en tant que narco-État fait d’elle aujourd’hui, selon de nombreux observateurs, le plus grand narco-État du monde. Un titre qui, bien loin des stéréotypes sud-américains, trouve ses origines en plein cœur du Levant. Avec la production et le trafic de captagon, le régime d’Assad s’est taillé un empire financier parallèle et puissant, répondant à la fois à ses propres besoins économiques et à ses ambitions diplomatiques dans la région. Mais comment la Syrie, un État ruiné par une décennie de guerre, a-t-elle pu bâtir une telle industrie et quelles en sont les conséquences régionales et internationales?

Aux origines de la transformation syrienne en narco-État

Avant de devenir un acteur majeur du trafic de drogues, la Syrie se distinguait sur d’autres marchés légaux: exportatrice de gaz, d’huile d’olive, de pistaches et de textiles, la nation disposait également d’une position stratégique sur la Route de la soie, relativement proche du canal de Suez. Mais le conflit syrien qui débuta en 2011 a ravagé l’économie du pays, plongeant la population dans la pauvreté et le régime dans un endettement colossal. Avec la guerre, l’effondrement de la structure étatique et l’intensification des sanctions internationales, le gouvernement Assad s’est tourné vers une économie souterraine. À la place des pistachiers et des oliveraies, un nouveau marché plus opaque et lucratif émerge: celui du captagon.

 

Commercialisé initialement dans les années 1960 pour traiter les troubles d’hyperactivité et l’anxiété, le captagon est aujourd’hui produit illégalement et modifié pour intensifier ses effets stimulants. Célèbre dans les milieux djihadistes pour ses propriétés stimulantes, cette drogue permet de réduire les sensations de peur et de fatigue, une qualité essentielle pour des soldats engagés dans des conflits intenses. Le régime syrien aurait saisi cette opportunité dès 2015, avec le soutien tacite de certains hommes d’affaires locaux et de groupes armés tels que le Hezbollah libanais. Ce dernier, qui maintient une forte influence en Syrie, participe activement à la production et au transport de captagon vers les pays voisins, selon le Journal of International Affairs. Cette collaboration économique fournit ainsi une ressource de survie au régime syrien.

Captagon: bouée de sauvetage économique du régime Assad

L’industrie du captagon constitue une véritable planche de salut pour un régime ruiné par la guerre et acculé par les sanctions internationales. Selon une estimation du gouvernement britannique, le commerce du captagon syrien rapporterait environ 57 milliards de dollars, un chiffre trois fois supérieur aux revenus combinés des cartels mexicains. Des personnalités clés au sein du régime, y compris Maher al-Assad, frère du président et chef de la Quatrième Division de l’armée syrienne, sont régulièrement pointées du doigt comme des acteurs centraux de cette industrie. James E. Baldwin, journaliste pour The Telegraph, qualifie le captagon de «bouée de sauvetage financière» pour le régime syrien, un constat partagé par des analystes régionaux qui voient dans cette économie parallèle la principale source de financement de la survie d’Assad.

 

L’implication directe du Hezbollah et d’autres acteurs locaux et régionaux dans cette industrie renforce l’emprise du régime sur cette ressource précieuse. Selon le Journal of International Affairs, le Hezbollah, bien qu’ayant des liens économiques et stratégiques ambivalents avec le captagon, joue un rôle déterminant dans l’organisation de cette économie souterraine. Son expertise logistique et son réseau dans le Sud-Liban lui permettent d’organiser une large partie des exportations de captagon vers des marchés hautement lucratifs, tels que la Jordanie et les pays du Golfe. Ces derniers, tout en affichant une opposition au régime d’Assad, deviennent paradoxalement des consommateurs importants de ce stimulant, renforçant financièrement ceux-là mêmes qu’ils prétendent combattre politiquement.

Captagon: outil de pression politique et de réhabilitation internationale

La popularité du captagon dans la région ne profite pas uniquement à l’économie syrienne: elle confère également au régime d’Assad un levier d’influence inédit. Dans un contexte de relations diplomatiques tendues, le contrôle de cette ressource offre au régime syrien un moyen de pression sur ses voisins et ses alliés.

L’impact du captagon dépasse en effet le cadre économique, constituant une arme de guerre économique pour le régime. Alors que certains pays arabes, tels que l’Arabie saoudite, le Qatar, et les Émirats arabes unis, tentent depuis des années de marginaliser Assad, ils sont aujourd’hui confrontés à une crise de santé publique et de sécurité en raison de l’afflux massif de captagon sur leurs territoires. Dans une dynamique de «carotte et bâton», le régime syrien utilise ainsi le trafic de drogue comme levier diplomatique, plaçant les pays frontaliers et les riches États du Golfe devant une alternative: tolérer la présence du régime syrien dans l’espoir d’un contrôle accru sur le flux de captagon ou risquer une montée en flèche de la contrebande de cette drogue dévastatrice sur leurs territoires.

La réhabilitation diplomatique d’Assad est devenue, en grande partie, conditionnée par sa capacité à réguler ou restreindre cette industrie qu’il a contribué à créer. En mai 2023, la Syrie a ainsi été réintégrée au sein de la Ligue arabe, après avoir été suspendue pendant plus de 11 ans. Cette décision, impensable il y a encore quelques années, s’inscrit dans le cadre d’une série de gestes visant à réintégrer Damas dans le concert des nations arabes, contre la promesse implicite d’une régulation du trafic de captagon.

Le cas de la Jordanie est particulièrement révélateur de l’effet déstabilisateur du captagon. Ce pays, voisin direct de la Syrie, est en première ligne du trafic de drogue et en subit de plein fouet les effets sécuritaires et sanitaires. Selon France24, Amman considère les réseaux de contrebande syriens comme une menace à sa sécurité nationale. Les autorités jordaniennes, confrontées à une hausse des arrestations liées au trafic de captagon, accusent Maher al-Assad d’être l’un des principaux architectes de ce réseau, menaçant de relancer les tensions diplomatiques avec Damas. L’enjeu du captagon apparaît donc ici comme une arme diplomatique à double tranchant, permettant à Assad de monnayer une éventuelle réduction de la production contre des gestes de rapprochement diplomatique.

Un risque croissant d’expansion vers l’Europe

L’impact de l’industrie du captagon ne se limite plus au Moyen-Orient. Si les effets du trafic de cette drogue sont déjà visibles dans les pays du Golfe et en Jordanie, le captagon pourrait bientôt menacer l’Europe, en particulier dans le cadre d’une économie souterraine libano-syrienne toujours en quête de nouveaux débouchés. Le média libanais L’Orient-Le Jour a récemment alerté sur le fait que la production de captagon est susceptible d’atteindre le continent européen, alimentée par les crises économiques et politiques régionales qui poussent les producteurs à exploiter de nouveaux marchés. Selon des experts, cette expansion représente une menace non seulement pour la sécurité des pays européens, mais aussi pour leur stabilité sanitaire et sociale.

L’Europe, qui ne connaît actuellement que marginalement le captagon, risque de devenir une destination privilégiée pour les trafiquants cherchant à contourner la baisse de la demande dans certains pays arabes confrontés aux crises économiques et à l’intensification des contrôles. En tant que continent au cœur de nombreux flux migratoires et économiques, l’Europe pourrait bien se retrouver en première ligne de cette crise de drogue transnationale. Cependant, les politiques publiques et les médias européens semblent encore sous-estimer la gravité de la menace, faute de sensibilisation ou de mesures préventives spécifiques face à ce stimulant très particulier.

Conclusion: un narcotrafiquant d'État en réhabilitation diplomatique

La dépendance du régime syrien à l’égard du captagon illustre les dimensions à la fois économiques, politiques et diplomatiques de ce commerce illicite. À travers ce trafic, Assad n’assure pas seulement la survie de son régime; il impose un dilemme stratégique à ses voisins et met en œuvre une forme de guerre économique contre les États de la région, utilisant la drogue comme outil de pression et de négociation. Alors même que l’industrie du captagon devient un levier de contrôle régional, elle transforme également la Syrie en une véritable plaque tournante du narcotrafic, avec des ramifications potentielles jusqu’en Europe.
En utilisant le captagon comme une arme d’influence géopolitique, le régime Assad pourrait réussir là où des années de diplomatie et de sanctions ont échoué: regagner une légitimité internationale. Cependant, ce retour dans le jeu diplomatique se fait au prix de la sécurité régionale et de la santé publique, en Jordanie, dans les pays du Golfe et potentiellement en Europe. La Syrie incarne aujourd’hui l’un des paradoxes les plus troublants de la géopolitique contemporaine: un État en faillite, dépendant de ressources illicites, qui parvient à se réinsérer progressivement dans la sphère diplomatique mondiale en tirant parti des défaillances systémiques de ses propres voisins.
Le cas du captagon souligne l’urgence d’une prise de conscience internationale face à une menace de plus en plus difficile à contenir. La production de captagon et sa distribution à grande échelle par des réseaux sous contrôle syrien posent une question cruciale aux États de la région et d’ailleurs: comment contenir les ambitions d’un narco-État en quête de légitimation?

Mohamed-Nour Hayed

Bibliographie

Sites internet

Kravitz, M. and Nichols, W. (2016) ‘A Bitter Pill to Swallow: Connections between Captagon, Syria, and the Gulf’, Journal of International Affairs, 69(2), pp. 31–42. Available at: https://search.ebscohost.com/login.aspx?direct=true&db=bth&AN=115307252&lang=fr&site=eds-live

Syria is largest narco-state in world as it earns more from Captagon than from its legal exports. https://theprint.in/world/syria-is-largest-narco-state-in-world-as-it-earns-more-from-captagon-than-from-its-legal-exports/1523165/

How a ‘Jihadi drug’ resurrected war-torn Syria as a narco-state. https://www.telegraph.co.uk/global-health/terror-and-security/syria-drug-captagon-manufacturing-dealing-trafficking-assad/

A dirty business’: how one drug is turning Syria into a narco-state : Manufacture of Captagon is a growth industry so big it is starting to rival GDP of flatlining economy. https://www.theguardian.com/world/2021/may/07/drug-captagon-turning-syria-into-narco-state

La menace du captagon pèse sur l’Europe. https://www.lorientlejour.com/article/1346763/le-menace-du-captagon-pese-sur-leurope.html#:~:text=L%27Europe%20se%20prépare%20à,selon%20le%20média%20américain%20Bloomberg.

هل يعرقل مخدر الكبتاغون توطيد العلاقات بين سوريا وبقية الدول العربية؟ https://amp.france24.com/ar/الشرق-الأوسط/20230510-سوريا-الأسد-مخدر-الكبتاغون-علاقات-الجامعة-العربية-السعودية-الأردن

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Le conflit syrien: une tragédie humaine et juridique

Depuis le début de la révolution syrienne en mars 2011, le conflit n’a cessé de se transformer en un engrenage de violence, marqué par des attaques répétées contre la population civile. Alors que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme estimait en 2022 que 300000 civils avaient péri, l’Observatoire syrien des droits de l’homme porte ce bilan à plus de 500000. Au-delà des chiffres, le conflit syrien a généré des millions de déplacés, et poussé autant de Syriens à s’exiler. La question du droit des victimes reste aujourd’hui un enjeu crucial pour une population qui réclame justice et reconnaissance de ses souffrances.

De Mohamed-Nour Hayed

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