Depuis plusieurs mois, la révolte des femmes et des jeunes Iraniens a confirmé à la fois les dynamiques d’une société iranienne résolument ouverte aux idéaux universels de liberté et la paralysie et la violence du gouvernement conservateur de Téhéran, incapable de répondre aux besoins et aux attentes légitimes de la population. Les gouvernements des pays démocratiques et l’Union Européenne ont condamné sans ambiguïté ces atteintes intolérables aux droits de l’homme.
Mais la révolte profonde et durable des Iraniens révèle en fait une crise plus globale qui résulte de la politique du gouvernement conservateur au pouvoir, mais également de la décision de Donald Trump de se retirer en 2018 de l’Accord sur le nucléaire (JCPOA) signé en 2015 après une longue confrontation diplomatique. Les sanctions économiques ont lors ruiné les espoirs de développement économique et de changement politique portés par la nouvelle classe moyenne iranienne, et d’autre part poussé la République islamique à relancer en représailles son programme nucléaire jusqu’alors sous le contrôle strict de l’AIEA.
Israël et le retour de la menace nucléaire iranienne
Certes, il faudra quelques années pour que l’Iran dispose d’un début d’arsenal nucléaire opérationnel et crédible, mais la République islamique est d’ores et déjà, de facto, sur le « seuil nucléaire ». L’Agence internationale de l’énergie atomique, qui continue d’inspecter les sites nucléaires iraniens, a confirmé que l’Iran possédait aujourd’hui un stock d’uranium enrichi à plus de 60 % suffisant pour fabriquer une ou deux bombes atomiques.
Cette situation est inacceptable sur le plan diplomatique car l’Iran est toujours membre du Traité de non-prolifération nucléaire. Cette perspective est dangereuse dans une région où la représentation que les hommes politiques et les peuples se font des menaces sont plus fortes que les réalités. Pour Israël, c’est un casus belli.
Retour aux années 2000, avec la multiplication de signaux alarmants sur la menace d’une intervention israélienne de grande envergure pour répondre au retour de la menace du programme nucléaire iranien. Benjamin Netanyahou à nouveau Premier ministre, a clairement rappelé : « ma priorité c’est l’Iran ». Le risque d’une action militaire est aujourd’hui rendu plus crédible depuis que les « Accords d’Abraham » ont permis à Israël de renforcer sa présence, officielle ou clandestine, sur les frontières de l’Iran. Les récentes attaques d’usines iraniennes par des drones sont peut-être les prémisses d’actions de plus grande ampleur.
La guerre comme horizon ?
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, de l’instabilité politique et sécuritaire du Liban à l’Afghanistan, et au Caucase, les conséquences d’une opération militaire contre l’Iran seraient à l’évidence d’une exceptionnelle gravité. Les Iraniens en seraient les premières victimes, car au nom de l’unité nationale devant une agression étrangère, les forces idéologiques les plus radicales seraient unifiées et renforcées pour réprimer toute revendication culturelle, économique ou politique. Dans la région, les probables représailles de l’Iran, de plus en plus associé à la Russie, pourraient impliquer le Hezbollah qui a les moyens militaires d’affecter la sécurité d’Israël, mais également toucher les « nouveaux amis » d’Israël comme les Émirats arabes unis, avec lesquels la France a conclu des accords de défense… L’Europe sera directement touchée par les conséquences d’un tel chaos dans une région si sensible pour sa sécurité et son approvisionnement en énergie.
Il faut également souligner la place stratégique de l’Iran pour garantir la stabilité de la région. Entre le Liban et l’Afghanistan, c’est le seul État qui n’ait pas été ravagé récemment par la guerre et dont la nombreuse population (85 millions), massivement instruite et ouverte sur les valeurs de liberté, pourrait devenir un acteur positif déterminant pour construire l’avenir politique et sécuritaire de la région.
Imposer la diplomatie, ultime chance avant le chaos
Grâce aux efforts de l’Union européenne et après d’innombrables péripéties, et discussions / affrontements diplomatiques, un nouveau compromis sur le contrôle du programme nucléaire iranien et la levée des sanctions économiques américaines, une mise à jour du JCPOA de 2015, avait été trouvé en août 2022. Mais ce texte n’a pas été signé. Aujourd’hui il y a urgence, car l’horloge du nucléaire iranien et la menace israélienne s’imposent à tous.
La République islamique ne semble pas en capacité de prendre des initiatives, mais à la suite de la visite de Rafael Grossi le 3 mars, Téhéran a accepté le retour des contrôles de l’AIEA sur toutes ses installations nucléaires et notamment le site de Fordow. Il est donc encore possible de trouver une porte de sortie diplomatique si l’Europe, Washington, mais aussi Moscou et Pékin prennent des initiatives courageuses pour imposer à toutes les parties concernées la signature d’un accord sur le nucléaire iranien qui est actuellement la clé de voûte de la sécurité du Moyen-Orient, pour éviter un conflit majeur.
iReMMO, groupe de réflexion Iran
Denis Bauchard, Jean-Paul Chagnollaud, Bernard Hourcade, Christian Jouret, Agnès Levallois