Jusqu’au bout, malgré tous les appels au cessez-le-feu, Benyamin Netanyahou aura semé la mort et la destruction dans la bande de Gaza. Il voulait non seulement détruire jusqu’au dernier lanceur de roquettes du Hamas et du Djihad islamique, mais surtout terroriser deux millions de Palestiniens – et au-delà les cinq autres millions qui vivent en Cisjordanie et en Israël. Comme toujours, le chef du Likoud préfère tuer que discuter : sa dernière négociation avec Ramallah concernait Hébron et date de près d’un… quart de siècle !
L’hubris – nous précise le Larousse – désigne, « chez les Grecs, tout ce qui, dans la conduite de l'homme, est considéré par les dieux comme démesure, orgueil, et devant appeler leur vengeance ». Si un mot suffisait à caractériser Benyamin Netanyahou et le premier cercle de ses proches, politiques et militaires, ce serait celui-là.
De fait, au neuvième jour de l’offensive, l’Office de coordination des Affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) recensait à Gaza et en Cisjordanie 244 morts palestiniens, dont 73 mineurs, 230 immeubles détruits (y compris celui des médias internationaux) et des dizaines de milliers de logements plus ou moins gravement touchés, avec pour conséquence le déplacement de 75 000 habitants. Du côté israélien, on comptait 12 morts.
L’hubris – nous précise le Larousse – désigne, « chez les Grecs, tout ce qui, dans la conduite de l’homme, est considéré par les dieux comme démesure, orgueil, et devant appeler leur vengeance ». Si un mot suffisait à caractériser Benyamin Netanyahou et le premier cercle de ses proches, politiques et militaires, ce serait celui-là. L’opération que ce docteur Folahaine, pour paraphraser Stanley Kubrick, a menée contre Gaza relève visiblement du vertige de la toute puissance.
À vrai dire, rien là de totalement neuf : les Palestiniens et, au-delà, plusieurs peuples arabes voisins ont appris depuis longtemps, dans leur chair, que l’armée israélienne compte parmi les plus redoutables machines de guerre au monde. Avec ce quatrième assaut contre Gaza, elle a mis en scène l’efficacité sanglante des inventions les plus modernes, dont une certaine presse, sur place, s’est vantée avec un chauvinisme un peu ridicule : ne provenaient-elles pas le plus souvent d’outre-Atlantique ?
Nos grands médias, eux aussi, ont décrit de manière presque lyrique leurs « prouesses », de la « pulvérisation » d’immeubles entiers à la destruction de rampes de lancement souterraines et à l’assassinat programmé de dirigeants islamistes. On observera en revanche que – Le Monde, Libération et l’Humanité mis à part – les quotidiens, les stations de radio et les principales chaînes de télévision n’avaient quasiment pas couvert les trois semaines précédentes, marquées par une escalade de provocations : pas un mot, ou presque, sur les « ratonnades » de Jérusalem aux cris de « Mort aux Arabes ! », si peu sur les tentatives de spoliations de treize maisons de Sheikh Jarrah et seules quelques rares images de la stupéfiante brutalité de la police entrée jusque dans la mosquée Al-Aqsa pour y tabasser des fidèles. Comme si l’on pouvait comprendre le film en n’en voyant que le dernier quart d’heure…
Ce fiasco médiatique comporte une dimension plus grave encore, où la censure et l’autocensure le disputent à l’incompétence professionnelle. On n’a guère vu TF1, France 2 ou France 3, pour ne rien dire des chaînes d’information continue, éclairer et analyser l’autre face de la pièce : les faiblesses insignes que cette guerre a révélées du côté israélien :
- Loin d’être terrorisés par les extrémistes kahanistes et ultra-orthodoxes ainsi que la police, les jeunes Palestiniens de Jérusalem ont défendu en nombre la place de Damas et leurs quartiers ainsi que leur mosquée, comme jamais depuis 1948 ;
- Loin de ne toucher que des villes proches de la bande de Gaza, comme durant l’été 2014, les roquettes du Hamas et du Jihad islamique ont provoqué des dégâts à Jérusalem et à Tel-Aviv, jamais touchées depuis 1948 ;
- Loin de rester à l’écart, comme lors de tous les conflits précédents, les villes dites « mixtes » – Haïfa, Lod, Ramleh, etc. – ont connu de graves affrontements, des incendies, des batailles rangées et même des lynchages. Pas assez, bien sûr, pour évoquer, comme certains, une « guerre civile » : dans la plupart des cas, il s’est agi d’un côté d’attaques anti-Arabes organisées par quelques dizaines des militants d’extrême droite aidés de colons venus de Hébron, avec souvent le renfort actif de la police, et, de l’autre, d’actions spontanées de jeunes Palestiniens peu organisés. Mais, là encore, on n’avait jamais vu ça depuis 1948.
Et pourtant, depuis la guerre de 1947-1949 et l’expulsion de 800 000 Palestiniens, Israël a guerroyé en 1956, 1967, 1973, 1982 et 2006, sans oublier la répression de deux Intifadas et les trois précédentes offensives contre Gaza. Tout ça pour en revenir, soixante-treize ans après sa naissance, à une situation rappelant à certains égards ce qui se passait avant ? C’est la première fois que les dirigeants israéliens font face à une levée en masse des Palestiniens, certes limitée, mais sur tous les fronts simultanément.
S’ils ont réussi, sans trop de mal, à neutraliser la plupart des chancelleries, y compris le Département d’État américain dont les priorités se trouvent ailleurs, le spectacle de ces derniers jours portera un nouveau coup à l’image de leur État. Pour mémoire, par exemple, lors de son 70e anniversaire, dans un sondage commandé par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) à l’Ifop, 57 % des sondés déclaraient avoir une «mauvaise image d’Israël » et 69 % du sionisme, 71 % attribuant à Tel-Aviv la principale responsabilité dans l’impasse du conflit.
Une autre dimension préoccupe vraisemblablement les diplomates israéliens : c’est le coup de frein que cette guerre pourrait donner au processus de rapprochement avec un certain nombre d’États arabes. Les signataires des accords pompeusement appelés « d’Abraham » pouvaient espérer faire avaler à froid à leurs opinions leur abandon de la « cause » palestinienne. Une enquête réalisée en face à face auprès de 27 000 sondés de treize pays indiquait que seuls 6 % soutenaient la « normalisation » en cours. On imagine sans mal ce qu’il en est aujourd’hui…
Au moment où il déclenche l’offensive contre Gaza, Netanyahou vient d’apprendre que le centriste Yaïr Lapid a réussi à former un gouvernement de toutes les forces « anti-Bibi »
Reste à expliquer pourquoi et comment l’embrasement s’est produit. Le 23 mars dernier, pour la quatrième fois, Benyamin Netanyahou échoue à obtenir des Israéliens une majorité suffisante pour échapper à la justice, rester Premier ministre et poursuivre sa politique radicalisée tous azimuts. Dans les semaines qui suivent, ses dernières manœuvres avortent : il ne parvient pas à former une coalition incluant les islamistes de Raam et les forces fascisantes du Parti sioniste religieux, dont les kahanistes de Force juive ; il ne réussit pas non plus à négocier son accession à la présidence de l’État ; enfin le projet d’élection du Premier ministre au suffrage universel s’enlise. À bout de manœuvres, le chef du Likoud joue le tout pour le tout. C’est alors que l’escalade commence à Jérusalem. Les violences policières au sein du troisième lieu saint de l’islam donnent le signal des tirs du Hamas.
Deux documents essentiels confirment aujourd’hui cette approche :
- le premier, c’est le rapport remis officiellement à Netanyahou par le chef de la police de Jérusalem : il écrit noir sur blanc que, des « ratonnades »de Jérusalem au face-à-face de Sheikh Jarrah et jusqu’aux affrontements dans les villes mixtes, un homme joue un rôle décisif. Héritier proclamé de Meir Kahane, admirateur de Baruch Goldstein, assassin de vingt-neuf fidèles musulmans à Hébron en 1994, Itamar Ben Gvir est devenu député grâce au parrainage du Premier ministre, qui lui a même promis un ministère ;
- le second document, c’est le récit de Nitzan Horowitz, président du Meretz, le parti sioniste de gauche. Au moment où il déclenche l’offensive contre Gaza, Netanyahou vient d’apprendre que le centriste Yaïr Lapid a réussi à former un gouvernement de toutes les forces « anti-Bibi », d’accord sur de grandes orientations et sur… la répartition des ministères.
Reste à savoir si l’apprenti-sorcier paiera son aventure. Ou plutôt quand. Ce sera enfin, pour reprendre le titre du dernier livre de Jean-Paul Chagnollaud, le jour de la « défaite du vainqueur ». « Le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure », disait Hérodote.
Dominique Vidal
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