Edito

On connaît le principe du pâté d’alouette : contrairement à ce que son nom laisse croire, il comprend peu d’alouette et beaucoup de… cheval. Imaginons-en une version casher : près de six mois après son investiture par la Knesset, c’est plus ou moins ce à quoi ressemble le bilan du gouvernement du Premier ministre Naftali Bennet et du ministre des Affaires étrangères Yaïr Lapid [1].

L’alouette, ce sont tous ces gestes de la coalition en direction de l’Autorité palestinienne, comme une posture mise en avant pour justifier de sa bonne volonté [2] :

Au-delà de ces mesures, Ra’am, Meretz et Parti travailliste soulignent que, grâce à leur participation au gouvernement, ils ont empêché l’annexion de territoires palestiniens. Nous nous battons, ajoutent-ils en substance, contre la colonisation comme contre les violences de l’armée et sa passivité face à celles des colons. Comme le politologue Denis Charbit l’a récemment souligné [8], ces affirmations méritent d’être pour le moins nuancées. Et c’est là que l’on passe de l’alouette au cheval.

Adepte du « ni, ni », Bennet déclarait déjà en août : « Ce gouvernement n’annexera pas et ne formera pas d’État palestinien [9]. » Cette devise ne diffère guère de celle du Netanyahou dernière période. Car ce dernier a lui-même « suspendu » l’annexion dont il devait annoncer les frontières, en juillet 2020. Sans doute parce qu’une telle annonce aurait rendu impossible la signature des accords dits d’Abraham, auxquels Donald Trump tenait pour des raisons de politique extérieure et intérieure. Rendons à César…

Sur la colonisation, les gauches s’attribuent des mérites imaginaires. Loin de la geler, le gouvernement Bennett la poursuit comme si de rien n’était. Fin octobre, pour la première fois, il a annoncé la construction de 3 144 nouvelles unités de logements dans des colonies du nord au sud de la Cisjordanie, ainsi que des appels d’offre pour 1 355 autres [10].

Que Washington entende conclure avec Téhéran, nul ne l’ignore. Et surtout pas Naftali Bennett, qui poursuit néanmoins une bataille d’arrière-garde compromise par la défaite de Donald Trump : il sait qu’il n’est plus en mesure d’empêcher le retour, sous une forme ou sous une autre, à l’accord sur le nucléaire iranien. Et pourtant il multiplie, comme son prédécesseur, les provocations militaires : bombardements réguliers (avec l’accord tacite de Moscou) visant les troupes de l’Iran en Syrie, sabotages répétés de ses centrales nucléaires, attaques contre ses tankers... Ce faisant, Bennett manifeste le même mépris ostentatoire du droit international que son prédécesseur.

Quant aux violences anti-palestiniennes de l’armée, la coalition n’y a pas mis fin, au contraire : l’année 2021 battra sans doute de tristes records. Déjà, au 1er novembre, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires pour le territoire palestinien occupé (OCHAOPT [xi]) indique que l’armée a tué 331 Palestiniens (contre 30 en 2020) et en a blessé 15 967 (contre 2 614) – dans le même temps, 15 Israéliens ont perdu la vie (contre 3) et 1 043 ont été blessés (contre 111). Parmi les morts palestiniens, on compte une centaine de mineurs… Côté destructions, l’OCHAOPT recense déjà 721 destructions de « structures » palestiniennes en zone C et à Jérusalem-Est (839 pour toute l’année 2020), entraînant l’expulsion de 962 personnes (963)…

Et c’est compter sans les attaques de colons, dont le ministre de la Défense reconnaît que, durant la campagne de récolte des olives de cet automne, elles ont augmenté de… 60 % [12]. En outre, le plus souvent, l’armée ne se contente pas de les observer passivement : elle protège les nervis, voire les aide. Une séquence troublera profondément une partie de l’opinion israélienne : elle montre un colon s’emparant du fusil d’un militaire pour tirer sur des civils palestiniens [13]

Mais l’offensive israélienne va bien au-delà la seule répression militaire. Le 19 octobre, Gantz signe un ordre classant « organisations terroristes » six grandes ONG palestiniennes de défense des droits de l’Homme [14]. Malgré l’utilisation du logiciel Pegasus pour espionner des responsables associatifs et le recours à la torture, toujours pratiquée sur les prisonniers palestiniens [15], le ministre de la Défense sera incapable de prouver que les organisations accusées entretiennent des liens avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).

Sur la question de Jérusalem, Bennett, comme son prédécesseur, se montre intraitable. L’avocat franco-palestinien Salah Hamouri va en faire les frais : la ministre de l’Intérieur Ayelet Shaked – celle-là même qui a posé dans un spot électoral à côté d’un flacon de parfum intitulé « Fascisme » – lui signifie, le 18 octobre, la révocation de son statut de résident de sa ville natale, Jérusalem, ouvrant ainsi la voie à une possible expulsion. Violant à la fois l’article 45 de la Convention de La Haye et l’article 49 de la quatrième Convention de Genève, elle s’acharne sur un homme qui a déjà passé sept ans de sa jeune vie en prison pour une tentative d’assassinat imaginaire, puis près d’une année en emprisonnement administratif. Il s’agit, a déclaré en substance Ayelet Shaked, d’intimider tous les Palestiniens de Jérusalem.

C’est sans doute dans le même esprit que, le 28 octobre, le ministre de la Sécurité publique Omar Bar Lev interdit un festival culturel de trois jours organisé dans la Maison d’Abraham, une église catholique. Prétexte : les accords d’Oslo ne permettent pas à l’Autorité palestinienne d’organiser des activités à Jérusalem…

Rien d’étonnant à ce que Bennett et Lapid, d’un même mouvement, s’opposent à la réouverture du consulat américain à Jérusalem-Est, annoncée il y a plusieurs mois par l’administration Biden. L’affaire relève du symbole : sans revenir, certes, sur le transfert de l’ambassade, ce geste laisserait toutefois ouverte la possibilité que la ville soit aussi un jour, le cas échéant, la capitale d’un État palestinien. Si les États-Unis disent attendre un feu vert israélien, ils insistent pour revenir au statu quo ante Trump…

Voilà un dossier de plus dans le contentieux entre Washington et Tel-Aviv, qui s’alourdit au fil des mois. Au point que le Jerusalem Post titrait il y a peu : « Pour Biden et Bennett, la lune de miel est terminée [15] ». Et le quotidien israélien d’expliquer : « Un clash entre le Premier ministre Naftali Bennett et le président Joe Biden est inévitable car ils sont en désaccord sur des questions de principe. » Et ce malgré le nouveau chantage auquel Tel-Aviv soumet Washington : si vous nous imposez vos vues, notre coalition explosera…

Reçu récemment à l’iReMMO, un des experts les mieux informés des relations entre les deux pays nous confirmait, sous le sceau de l’anonymat, que les critiques publiques de la Maison Blanche n’ont rien de « lip services » : sur le scandale du logiciel espion Pegasus (dont les États-Unis ont inscrit le fabricant, l’entreprise NSO, sur leur liste noire), les nouvelles annonces de construction dans les colonies (que le Département d’État juge « inacceptables »), le classement comme « terroristes » de six ONG palestiniennes (que les Américains condamnent au nom de la liberté d’expression), les violences des colons (que l’ambassadrice états-unienne à l’ONU a vivement condamnées) et par-dessus tout sur l’Iran.

Que Washington entende conclure avec Téhéran, nul ne l’ignore. Et surtout pas Naftali Bennett, qui poursuit néanmoins une bataille d’arrière-garde compromise par la défaite de Donald Trump : il sait qu’il n’est plus en mesure d’empêcher le retour, sous une forme ou sous une autre, à l’accord sur le nucléaire iranien. Et pourtant il multiplie, comme son prédécesseur, les provocations militaires : bombardements réguliers (avec l’accord tacite de Moscou) visant les troupes de l’Iran en Syrie, sabotages répétés de ses centrales nucléaires, attaques contre ses tankers… Ce faisant, Bennett manifeste le même mépris ostentatoire du droit international que son prédécesseur.

En 1969, le candidat communiste à l’élection présidentielle, Jacques Duclos, avait donné une nouvelle jeunesse à l’expression « blanc bonnet et bonnet blanc », renvoyant dos-à-dos Georges Pompidou et Alain Poher, face à face au second tour. Depuis, on a usé et abusé de l’expression. Peut-on en l’appliquer à Bennett et Netanyahou ? À ce stade, ce serait sans doute excessif. Mais l’ancien leader de l’extrême droite israélienne donne de plus en plus de grain à moudre aux tenants de cette formule.

Qui s’en étonnera ? Il y a huit ans, Naftali Bennet, alors ministre de l’Économie, suggérait de « tuer » tous les « terroristes » arrêtés. Et de renchérir : « J’ai tué beaucoup d’Arabes, aucun problème avec ça » [17].

Dominique Vidal

(1) Lire René Backmann, « Bennett, c’est Netanyahou en pire », Mediapart, 27 octobre 2021.

(2) Cette bonne volonté affichée reste limitée : fin octobre, Israël a menacé de couper l’électricité aux Palestiniens endettés. Cf. site du Times of Israel, 29 octobre 2021.

(3) Site du Times of Israel, 31 octobre 2021.

(4) Une loi de 2003 interdit aux Palestiniens de Cisjordanie qui épousaient des citoyens israéliens de s’installer définitivement en Israël, d’obtenir du travail, un statut de résident permanent et, finalement, la citoyenneté. La Knesset, en juillet dernier, ne s’est pas mis d’accord sur sa prolongation. Voir le site de l’AFPS, 28 juillet 2021.

(5) Site de Radio France International, 14 août 2021.

(6) Idem,  1er novembre 2021.

(7) Site d’Al Monitor, 8 novembre 2021.

(8) Conférence zoom de JCall et de La Paix maintenant, 8 novembre 2021.

(9) Site du Times of Israel, 25 août 2021.

(10) Idem, 27 octobre 2021.

(11) Communiqué du 7 novembre 2021 : ochaopt.org/data

(12) Site du Jerusalem Post, 9 novembre 2021. OCHA, pour sa part, recense déjà 410 attaques de colons, contre 358 pour toute l’année 2020.

(13) Site de Haaretz, 28 octobre 2021.

(14) Idem, 22 octobre 2021.

(15) Site du Jerusalem Post, 30 octobre 2021.

(16) Idem, 27 octobre 2021.

(17) Site de France 24, 30 juillet 2013.

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