L’Égypte estime qu’elle n’a pas à prendre en charge les coûts de l’occupation et de la guerre israélienne à Gaza

Une offensive militaire de l’armée israélienne se prépare à Rafah, qui devait pourtant, selon Israël, être un lieu sûr pour les civils. Pour fuir les combats vers l’Égypte, les Palestiniens doivent payer des milliers de dollars à des intermédiaires. Pourquoi Le Caire n’ouvre-t-il pas sa frontière avec le territoire palestinien ?

Pour comprendre la position égyptienne, il faut prendre en compte plusieurs paramètres. Tout d’abord, et c’est selon moi un point essentiel, l’Égypte estime qu’elle n’a pas à prendre en charge les coûts de l’occupation et de la guerre israélienne à Gaza. Israël étant la puissance occupante, selon les Conventions de Genève, c’est aux Israéliens que revient la charge d’administrer les populations vivant en territoire occupé, en l’occurrence à Gaza, et de payer les coûts afférants (éducation, santé, etc.). Selon l’Égypte, la question ne devrait pas être : pourquoi Le Caire n’ouvre-t-il pas ses frontières, mais plutôt : pourquoi la communauté internationale ne fait-elle pas pression pour un cessez-le-feu ? et comment se fait-il qu’il soit permis de parler si librement de la déportation des Palestiniens ?

De plus, en ouvrant ses frontières, l’Égypte dévierait de sa position historique adoptée dès les années 1950. La déportation des Palestiniens vers le Sinaï obéit à une logique israélienne ancienne, selon laquelle les Palestiniens seraient supposément « fongibles » dans les autres pays arabes et que leur installation en Égypte effacerait leur palestinité. Pour l’Égypte, obéir à la logique de déportation, c’est obéir à cette logique israélienne d’autant plus que le projet d’expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza n’est pas nouveau. En 2017, après sa sortie de détention, l’ancien président égyptien H. Moubarak, avait affirmé qu’à son arrivée au pouvoir, dans les années 1980, les Israéliens lui avaient proposé de réinstaller les Palestiniens dans le Sinaï, ce qu’il avait refusé. La proposition israélienne avait été réitérée en 2010. La volonté d’expulsion des Palestiniens est un sujet récurrent qui revient à chaque fois que l’opportunité se présente pour les Israéliens. Au début de la guerre à Gaza, la fuite d’un document officiel israélien confirmait le projet de leur expulsion vers l’Égypte en trois étapes : établir des villes, sous forme de campements, créer un corridor humanitaire et construire des villes, cette fois de manière pérenne, dans le nord du Sinaï pour les nouveaux réfugiés.

Avant même la fuite de ce document, Abdel Fattah Al-Sissi s’était exprimé en affirmant que l’Égypte n’accepterait pas l’expulsion et l’accueil des Palestiniens, principalement pour des raisons sécuritaires. Le président égyptien craint en effet que les opérations contre Israël ne se déplacent sur son territoire et transforment le Sinaï en base d’opérations contre Israël, ce qui entraînerait une riposte militaire israélienne et mettrait en péril le traité de paix israélo-égyptien.

Pour rappel, d’un point de vue juridique, l’expulsion des Palestiniens constituerait une violation de la quatrième convention de Genève relative à la protection des civils en temps de guerre. Historiquement, les Palestiniens qui ont été expulsés de leur territoire n’ont jamais pu y revenir. L’idée de les déporter afin d’achever les opérations militaires israéliennes ne paraît pas crédible et n’est, quoi qu’il en soit, pas susceptible de convaincre les Égyptiens.

Par ailleurs, l’Égypte n’a pas les moyens économiques d’accueillir les Palestiniens dans la mesure où le pays traverse actuellement une crise sans précédent: inflation record, dévaluation de la livre égyptienne, dette publique massive. Même en bénéficiant d’une aide internationale, déjà évoquée par les États-Unis sous forme d’un allégement de la dette et d’un soutien financier considérable, certains coûts ne pourraient être couverts par l’Égypte.

Existe-t-il des dissensions au niveau du pouvoir égyptien sur la situation à Gaza ?

Il existe en effet des différences dans le ton employé entre le discours du ministère des Affaires étrangères (MAE) et la présidence concernant la situation à Gaza.

Au début de la guerre, le MAE s’est appuyé sur un lexique conventionnel, en évoquant les dangers de l’escalade et en faisant des appels à la retenue. Au fil des semaines, son lexique est devenu beaucoup plus ferme. Sameh Choukri, le ministre égyptien des Affaires étrangères, a dénoncé la liquidation de la question palestinienne par Israël. En parallèle, la représentation égyptienne à l’ONU a utilisé des termes encore plus forts, en parlant d’un plan systématique d’anéantissement des Palestiniens, en les tuant ou en les déplaçant, et en critiquant la politique de double standard de la communauté internationale.

Par ailleurs, la présidence a adopté un discours beaucoup moins ferme vis-à-vis d’Israël. Abdel Fattah Al-Sissi a appelé les Israéliens à laisser passer de l’aide humanitaire et à ne pas adopter une politique de punition collective, contraire au droit international, afin d’éviter une famine généralisée. Il a également évoqué des éléments de droit avec la recherche de la paix, de la justice, faisant référence aux accords d’Oslo (1993) et à l’initiative de paix de Beyrouth de 2002, ce qui semble en décalage avec la situation politique actuelle. Dans le discours du président égyptien toutefois, c’est la menace sécuritaire liée à l’installation de milliers de Palestiniens dans le Sinaï qui domine. C’est également la position soutenue par l’armée depuis le début de la guerre.

Ces deux discours ne sont pas contradictoires, mais ils ne visent pas le même public. On pourrait imaginer que celui du MAE s’adresse avant tout à l’opinion publique égyptienne, qui soutient la cause palestinienne, et cherche à contenir la colère populaire. En revanche, le discours présidentiel s’adresse davantage aux pays occidentaux en s’alignant sur l’opinion de la communauté internationale, qui condamne les actions du Hamas, considéré comme un groupe terroriste.

Ces dissensions relèvent aussi d’une réalité politique égyptienne ancrée. Historiquement, sur la question palestinienne, des divisions ont toujours existé entre le MAE et la présidence. La veille de la visite de Sadate à Jérusalem en 1977, le ministre égyptien des Affaires étrangères avait alors démissionné pour marquer sa désapprobation vis-à-vis de l’initiative du président égyptien. Des tensions notables ont aussi eu lieu entre H. Moubarak et l’ancien ministre Amr Moussa après le déclenchement de la seconde intifada, entraînant la marginalisation du MAE et donnant plus de poids aux services de renseignements égyptiens sur ce dossier.

Cela dit, malgré ces divisions, la présidence est toujours la dernière décisionnaire.

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